Récompense Plaidoyer

Plaidoyers du L2 Collège de Droit - Les trois meilleurs

Organisé par Kelly Picard, le concours de plaidoyers autour du "monde confiné" a ses trois vainqueurs : Haydé Ladham, Florentin Bouchet et Souad Messad.

 

Le jury composé de Dojheur Zerouki-Cottin, Benoît Schmaltz et Aurélien Antoine a sélectionné les trois meilleurs plaidoyers :  

  • La solidarité réside-t-elle dans le sacrifice de nos libertés? par Haydé Ladham
  • Le régime d'exception est-il devenu la norme? par Florentin Bouchet
  • Sommes-nous tous des hydroalcooliques anonymes? par Souad Messad

Bravo à eux!


Florentin Bouchet
 
Haydé Ladham

 

 

Publié le 8 février 2021



La solidarité réside-t-elle dans le sacrifice de nos libertés?Défense du OUI - Haydé Ladham

Solidarité, j’écris ton nom
Sur les stores abaissés
Des boutiques du quartier
Sur la cité endeuillée
Privée de l’ancêtre aimé
J’écris ton nom


Aux façades des demeures
Où vivent les confinés
Sur la vie extérieure
Vidée de ses bien aimés
J’écris ton nom


Sur les écarts de chacun
D’un mètre ni plus ni moins
Sans affection du matin
Seuls des au revoir de loin
J’écris ton nom


Sur le nouveau bal masqué
Carnaval irrespirable
Sur ceux qui faces cachées
Suent d’angoisse abominable
J’écris ton nom


Sur la tendresse interdite
Pour ne rien envenimer
Sous l’oeil des Parques maudites
Qui veulent nous séparer
J’écris ton nom


Sur les trajets raccourcis
Hors des prisons de béton
Où liberté amoindrie
Du bitume prend le ton
J’écris ton nom


Sur nos vies si casanières
Bien à l’inaccoutumée
Sur tous nos gestes barrières
Très largement assumés
J’écris ton nom


Sur nos fêtes avortées
Sous le sourire aux paupières
Le souvenir du passé
Là où git le temps d’hier
J’écris ton nom


Sur les protecteurs des autres
Sans lubie mais sacrifice
Pour que la santé soit nôtre
Pour sauver pères et fils
J’écris ton nom


Contre tous les désespoirs
Sur la frêle humanité
Pour vos vies non dérisoires
Qui ne sont pas oubliées
J’écris ton nom


Sur la liberté restreinte
Mais surtout pas abolie
Retenue dans une enceinte
Pour le respect de la vie
J’écris ton nom


Sur ceux qui sont prêts à nier
Une liberté totale
Qui boit au tonneau percé
Loin de tout contrat social
J’écris ton nom


En mémoire d’Éluard
Aux héros de tous les jours
Ne laissant pas au hasard
La perte de nos amours
Je crie ton nom
Solidarité.


Haydé Ladham



Le régime d'exception est-il devenu la norme ? Soutien la thèse du Pour - Florentin Bouchet

Monsieur le Président de l’Assemblée Générale, Madame la Secrétaire Générale des Nations Unies, Mesdames et Messieurs les Représentants d’Organismes privés, les chefs d’Etat et de Gouvernements,
C’est avec honneur et respect que ce soir, je prends la parole devant vous.


Vingt ans. Vingt ans que l’épidémie de COVID-19 a commencé. Vingt ans de peur ; vingt ans d’effrois ; vingt ans de conflits : vingt ans de morts. L’Organisation des Nations Unies a échoué : nos peuples sont éclatés. Partout est l’humain, nulle part est la paix. Nos villes d’hier, symboles prospères de nos sociétés, sont devenues les nouveaux cimetières de nos jours ; elles sont abandonnées et sources des plus grandes peines.


Le 23 janvier 2022, les comptes-rendus de l’Organisation Mondiale de la Santé indiquent que ce sont près de 1 800 000 000 individus qui sont atteints de ce virus. Le 24 janvier 2022, face à cette crise, le Conseil de sécurité se réunit en session extraordinaire. Après deux semaines de débats intenses en cris et en larmes, le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans sa résolution SC/270, octroie les pouvoirs absolus aux Instances de l’Organisation afin de préserver la paix mondiale.


Le premier mars 2022, une Charte des droits dérogatoires rentre en vigueur : cette Charte fait basculer le monde dans un nouveau régime. Vingt ans après, le premier mars 2042, ce soir, où en sommes-nous : le régime d’exception est-il devenu la norme ?


Bien avant l’entrée en vigueur de cette Charte, et même au début de cette crise, les Etats prirent des mesures coercitives afin d’endiguer l’épidémie. Certains Etats recoururent au « confinement » des populations : cette mesure d’empêchement des déplacements et réunions n’aurait jamais été envisagée en temps de paix. L’épidémie de COVID se trouva freinée, certes, mais nullement arrêtée. Cette mesure de contrainte, dont les études médicales révèleront qu’elle fut la meilleure option en l’attente de traitement, propulsa le monde tout entier à accomplir des actes jamais imaginables. En décembre 2021, la situation commença à se dégrader : saturation des systèmes médicaux d’urgence, ruptures critiques de médicaments et matériels médicaux sont alors les raisons qui poussèrent le Conseil de sécurité à voter les pleins pouvoirs à l’Organisation des Nations Unies et toutes ses instances afin de ne plus jamais avoir à choisir entre deux vies, lorsque les besoins matériels et humains viennent à manquer. Alors que toute la société internationale pensait que le plus dur était soit passé, soit vécu en direct, les restrictions sévirent : confinement absolu avec pour seule dérogation l’intervention des services d’urgence ; rationnements alimentaires ; répartition des réseaux : énergétique, des eaux, de chauffage et d’internet afin de ne léser personne ; obligation du port du masque et de combinaisons corporelles intégrales soudées puis fusionnées à nos corps dans les foyers entre les membres d’une même famille. Ces mesures ne sont que des exemples d’obligations prévues par la Charte des droits dérogatoires, entrée en vigueur le premier mars 2022 : celle-ci concerne bien évidemment toutes les populations à travers le globe.


L’opposition à ces mesures entraîne le danger inconditionné d’un cas vecteur de plus : tuer, ou être tué ? Cette interrogation est la seule à laquelle doivent répondre les nouvelles Forces Armées de Régulation. Instituées par l’Assemblée Générale des Nations Unies, ces Forces Armées ne se dressent que pour béradiquer le virus, peu importe le corps qu’il occupe. Il y a vingt ans, je n’aurai jamais eu le courage de parler des actes commis au nom de la protection sanitaire : un voile de pudeur s’était jeté, dès lors que l’on évoquait ne serait-ce que le nom de ces nouveaux gardiens des nations, pourtant unies. Ce soir, je peux évoquer avec vous ces corps meurtris par nos services, à la seule raison qu’ils formaient résistance ; je peux évoquer avec vous ces familles massacrées par nos services pour avoir constitué une économie de denrées, les vendant par la suite ; je peux évoquer avec vous toutes ces dérogations à notre droit le plus fondamental, celui de la vie, justifiées au nom de ce même droit, sans même voir une tête se baisser, des yeux s’émouvoir, un coeur s’arracher.


C’est une terreur que nous vivons désormais. Une terreur interne, un rejet systématique de l’autre par peur qu’il ne soit cas vecteur, autrement dit, une menace. Les précautions à prendre, sont telles, qu’une famille n’est plus que l’addition d’individus, réunis dans le même bâtiment. L’amour et la chaleur humaine deviennent étrangères, en même temps que l’isolement et la solitude deviennent familiers.


L’éloignement préconisé par nos spécialistes s’est invité jusque dans nos maisons : l’architecture des années 2020 sépare autant que possible les espaces pour que chacun ait le moins de contact avec un autre. Toutefois, les murs n’ont même plus à être bâtis : la distance est devenue l’habitude ; le rapprochement est devenu l’exception, l’erreur, la menace.


L’année 2024 sonne la fin d’une ère de « prospérité ». Deux ans après l’entrée en vigueur de la Charte, les populations sont essoufflées : ce n’est pas l’air qui vient à manquer, mais l’envie même de respirer. Dans un dernier souffle, et partout autour du globe, des groupements se fondent, des unions se forment : des guerres éclatent. Parmi ces groupes, un acteur se démarque : Crown-2024؟. Ce groupuscule réussit le pari inimaginable de rassembler les populations, là où notre Organisation a échoué lamentablement.

Attaques des convois de ressources, pillages, sabotages, prises d’otages, ne sont plus des événements tragiques : ils font partie du quotidien désormais. La répression croît proportionnellement à la résistance : l’humanité rentre en guerre avec elle-même : qui gagnera ? Certainement pas la division.

Représentations de tous les Organismes privés, d’Etats et de Gouvernements : prêtez-moi l’oreille ; écoutons les murmures de la mort marronner. Il serait chose aisée de croire que la fatalité nous entraîne à la destruction : « […] l'homme ne sera parfait que lorsqu'il saura créer et détruire comme Dieu ; il sait déjà détruire, c'est la moitié du chemin de fait. » Ces lignes d’Alexandre DUMAS sont doublement vraies : nous avons franchis la porte de notre propre destruction, donc inéluctablement, nous venons d’entrer dans une nouvelle ère de création.


Alors oui, je vous le dis. Et vous l’aurez compris : le régime d’exception est devenu la norme. Toutefois, il serait chose aisée de croire que le régime d’exception est devenu une tyrannie sans fin ; de croire en l’inscription dans le marbre de pratiques qui ont fait couler autant de larmes que de sang. Car oui, la lutte continue. La lutte continue, mais pas contre nous : la lutte continue, avec nous, et contre la calamité. Ce soir, devant ce Temple de la réunion de tous, nous ne désignons pas le virus comme ennemi. Non ; c’est bel et bien notre discorde que nous désignons comme calamité, et seul ennemi qui vaille le déploiement de nos (F)orces.


Si d’apparence l’indifférence est devenue l’habitude, il n’en est rien ce soir : comme nous l’avons souligné, un dernier souffle a permis de révéler ce qu’il y avait de pire en l’humain. Cette révélation nous a fait prendre conscience des erreurs d’un temps. Est-ce pour autant qu’elles ne doivent être changées ? Cette période d’exception, où la paix est une chimère, laisse la place à une nouvelle ère : celle de la fraternité et de la coopération. Cette période d’exception, où la peur gouverne le corps, où l’effroi d’un parasite invisible mutile les esprits, où la règle est de tuer pour ne pas être tué est révolue.


Nous rentrons dans une nouvelle époque ; notre délaissement, notre mort, n’aura ouvert la voie qu’à une seule richesse : notre renaissance. Parce qu’il faut plonger pour remonter ; parce qu’il faut mourir pour vivre, le régime d’exception se prolonge et déclare cette fois-ci la guerre au déchirement de l’espèce humaine. Désormais, tous unis dans la mort, comme dans la vie, nous avançons, et d’un pas fier.


Nous avançons, et laissons ce que nous avons échoué : ayons le courage de réussir, là où les autres ont sombré. Ayons également ce souffle de vie pour réaliser ce qui nous attend : reconstruire la paix, comme une et indivisible.


Mesdames et messieurs, vous m’avez élu ce soir en qualité de Gouverneur affecté à la sortie de crise : laissez-moi vous remercier, et rallumer ce feu de vie, en vous présentant le projet de l’Organisation des Nations (de nouveau) Unies.


Le projet Methuselah in Mars, sur lequel nous travaillons depuis maintenant des années, est enfin prêt. Alors que nos guerres et avant celles-ci, nos modes de vie, ont fait plonger tout espoir de vie paisible et harmonieuse avec l’environnement terrestre, nous proposons un avenir, par-delà les conflits : par-delà la Lune. Vers, et sur Mars.


Homo sapiens sapiens naît et meurt terrien Qui a dit que l’espèce homo devait mourir, et terrienne ? Laissons la place à homo numericus ; laissons dont notre Terre-mère se reposer, tandis que nous nous battions pour des raisons qui ne tiennent plus aujourd’hui. Cette occasion est la seconde-chance pour l’humanité : ne la gâchons pas ; soyons fiers de notre résurrection et acceptons enfin d’être vivants, c’est-à-dire, de semer la vie et en paix cette fois-ci.


Un monde est à construire ; une vie à préserver : une paix à exercer. Alors dérogeons, mais cette fois-ci à la mort.
A toutes mes relations,


Merci pour votre écoute ; merci pour votre soutien.

Florentin Bouchet



Sommes-nous tous des hydroalcooliques anonymes ? Thèse défendue : Pour - Souad Messad

Eudoxie enfonça sa clé dans la lourde porte d’entrée de l’appartement familial. Le gémissement qu’émirent les rainures résonna dans la cage d’escalier antique de son immeuble. Dans une autre vie, Eudoxie aurait remarqué l’odeur chaleureuse et gourmande provenant de la cuisine, accompagnée dela senteur familière de son domicile, celle qui la poursuivait de partout. Mais dans cette vie-là, cellequ’elle détestait, aucune odeur n’était identifiable. Seule demeurait celle de l’hydroalcoolique, aussiagressive que piquante. Aucun autre arôme ne lui était familier. Et aucune ne le serait jamais.

Posant son sac à dos à terre, elle retira ses bottes épaisses pour les aligner avec les chaussures de ses parents, avant de se diriger vers la cuisine. Le silence précédait chacun de ses pas : sa mère était enfermée dans la suite parentale, dont le lourd chagrin l’imprégnant, fuitait par tous les interstices,tandis que son père était sans aucun doute planté devant son ordinateur, ignorant l’existence de safamille de manière parfaitement réussie. Si la jeune fille savait leur présence constante au domicile familiale, la solitude restait sa principale compagnie. Ses parents l’évitaient elle, autant qu’ils s’évitaient entre eux. Mais Eudoxie ne leur en voulait pas ; comment aurait-elle pu ? Dans leur dernière conversation, sa bouche s’était tordue pour prononcer ses mots si affreux aux oreilles de quelconque parent : « je regrette que vous m’ayez donnée la vie ». Qui pouvait supporter de tels mots, autant lourds de sens que de violence ? Mais la jeune fille ne parvenait pas non plus à se blâmer : chaque minute qui s’écoulait était juste un instant de souffrance en plus. Qu’est-ce qui pouvait la pousser à ne pas en finir ? Peut-être que dans le fond de son être, l’espoir qu’elle croyait mort, continuait de l’animer. Peut-être que si ses parents avaient réussi une seule chose, c’était lui insuffler une touche d’espérance, juste assez pour continuer de s’accrocher malgré elle-même.

Ni Ana, ni Anselme ne parvenaient à planter leurs yeux dans ceux de leur unique fille ; la tristesse, la solitude et le vide qui s’y fichaient leur étaient impossible à affronter. Pas depuis leur ultime dispute, si ce n’est leur ultime échange. Rien ne dégouttait plus leur fille que de respirer, que d’exister dans un monde si insipide. Ses larges pupilles bleues ne pouvaient que pointer du doigt la lassitude et la solitude qui se terraient au fond d’elle. Dans ses longues journées d’attente de la nuit, de cette couleur sombre qui l’apaisait quelques heures, Ana se demandait ce qui lui avait pris de vouloir tomber enceinte dans une période si terrible. Peut-être qu’Eudoxie avait raison finalement. Peut-être qu’elle avait eu tort.

Elle-même ne pouvait plus bouger depuis l’arrivée de la combinaison dans leur existence. Eudoxie posa son sac au pied de la table de la cuisine avant de s’affaler sur un tabouret. Croisant les bras sur la table haute, elle pose sa tête dessus. Lors de cette partie de sa routine qu’elle effectuait de manière presque obligatoire, son comportement ne pouvait être différent: lorsqu’elle fixait la vieille horloge en bois en face d’elle, le vide l’envahissait et elle ne parvenait plus à le contenir, à le maintenir enfoncé en elle. Son sang tambourinait dans ses tempes, son coeur remontait dans sa gorge et l’air se faisait rare. Comme si tout, absolument tout, était absorbé par ce vide. Son vide. La jeune fille ne savait pas pourquoi elle s’infligeait cette torture, seule assise dans cette cuisine, qui aurait dû être chaleureuse. S’agissait-il sans doute d’un seul moment où elle pouvait saisir du bout des doigts une quelconque sensation en elle.

Mais le vide qui caractérisait son existence était perpétuel. Qu’il soit en elle ou l’entourant, il la poursuivait. Son goût et son odeur insipide s’insinuaient partout, même dans sa chambre, censée être son havre de rêves, ainsi que de paix. Ce vide était si pesant, que parfois, elle songeait à la mort comme un soulagement, venant l’extraire de son anesthésie permanente.

A sa rentrée en première année à la faculté de Lettres classiques, il avait été demandé aux étudiants de se décrire eux-mêmes ainsi que leurs vies avec un seul mot. Le professeur trouvait l’exercice à la fois ludique et complexe. Se prêtant au jeu, Eudoxie avait simplement écrit « anesthésiée » comme qualificatif. Ce terme lui parlait parfaitement ; il correspondait exactement à cette idée à la bulle que contenait son enveloppe corporelle. Le vide. Le rien. Le sien. Pourtant, elle aurait dû tout ressentir. Elle était humaine après tout. Mais cette bulle qu’elle percevait juste en-dessous de son épiderme lui faisait obstacle. Comme si on lui avait administré un narcotique à sa naissance. Un peu comme l’hydroalcoolique l’empêchant de tomber malade. De ressentir. D’exister. Toutes ces choses qu’elle aurait dû connaître resterait un songe à l’arrière de son crâne, recouvert par sa masse de cheveux bruns. L’hydroalcoolique y faisait barrière. L’étudiante se souvenait du regard empli d’une pitié de son enseignant qui l’avait rendu nauséeuse. Elle aurait aimé croire qu’il comprenait ce qu’elle ressentait, qu’il saisissait son désespoir de passer autant à côté de son existence que d’elle-même. Eudoxie se voyait plus comme une enveloppe charnelle ambulante, que comme un être humain. Mais malgré son coeur aux bords des lèvres, comme chaque fois que quelqu’un la prenait en pitié, elle avait voulu y croire.

Croire qu’il comprenait un tant soit peu sa souffrance. Après tout, il était dans le même bateau percé qu’elle. Calant sa tête entre ses paumes, la jeune fille jeta un coup d’oeil aux divers paquets de gâteaux posés à l’extrémité de la table. Les emballages plastiques et cartonnés présentaient des mets qui semblaient si goûteux et succulents, qu’Eudoxie en avait eu auparavant l’eau à la bouche. Mais plus maintenant. Ces trompes l’oeil ne l’avaient plus. Elle savait qu’ils ne faisaient que mentir, augmenter les attentes des consommateurs, très rapidement déçus lorsqu’ils y goûtaient. L’étudiante avait également été victime de ce mensonge ; après avoir supplié son père d’en acheter quasiment chaque semaine, ce dernier avait fini par céder, lui indiquant de choisir celui qui lui faisait le plus envie. Anselme se rappelait de
l’excitation de la fillette sur le chemin de la maison, qui babillait joyeusement, rien qu’à l’idée de déguster le met tant attendu. Quelles ne furent pas sa déception et sa surprise lorsque, mâchant le gâteau avec application, elle découvrit que la substance pâteuse avait le même goût que toutes les autres. Le goût de l’aseptisation. Du rien, à part celui de l’hydroalcoolique. Aucune saveur n’était venue émoustiller ses papilles gustatives.


Depuis cette expérience qui lui avait laissée l’amertume caractéristique du mensonge, Eudoxie rechignait à se nourrir. Bien qu’elle en ressenti le besoin vital, elle se refusait parfois à traverser cette épreuve. Ce n’était qu’une torture supplémentaire. Elle l’avait lu tant de fois dans les livres : le repas était le réconfort à la fin d’une dure journée, d’un difficile périple. Les héros et héroïnes, après avoir bravé mille et un dangers, s’asseyaient tous ensemble, pour partager un festin, célébrant à la fois leur victoire et leur existence. Son repas à elle, n’était qu’une alarme de plus, venant lui vriller son esprit atrophié par le manque de goût de sa vie. Pourtant, la jeune fille avait fantasmé tant de fois le moment où elle s’assoirait à table, avant de porter à sa bouche une fourchette garnie d’une bouchée d’une délicieux plat, pour laisser ses papilles savourer cette explosion de saveurs. Les yeux fermés, la nuit, elle salivait, rien qu’à l’image même d’une telle scène. Mais au petit matin, lorsque son regard tombait sur les emballages colorés de gâteaux que son père continuait à lui faire livrer, son estomac se tordait de dégoût, lui indiquant clairement de faire demi-tour sans rien avaler.


Eudoxie contempla encore quelques instants ce triste rappel, hésitant à obéir aux appels animaux de son organisme, pour finalement se tourner vers un simple verre d’eau. Cette dernière ne lui avait jamais menti. Jamais le liquide ne lui avait fait d’intenables promesses, avant de la laisser tomber au dernier moment, le masque de la tromperie tombant enfin. La boisson claire et fraîche coula le long de sa gorge, venant satisfaire pour quelques temps les grondements tonitruants de son estomac. Reposant le récipient dans l’évier, la jeune fille prix ensuite la direction de sa chambre, dernière partie de cette
routine assommante de vide. Cette pièce était pour elle, à double-tranchant : si certes, elle y trouvait du réconfort sécurisant, étant entourée des fictions que son esprit et ceux des autres avaient créées fictive, elle lui rappelait également que ce que sa propre réalité n’était que le pâle reflet de ce qu’elle aurait pu être. Ce qu’elle aurait dû être.

Arrivée au bout du couloir, la jeune fille poussa la porte en bois clair qui fermait l’accès à sa chambre. Quatre hauts murs définissaient les contours de la pièce, 3 d’entre eux recouverts d’affiches, posters, images, aux chaudes couleurs chaudes. Plusieurs plantes tombantes étaient accrochées au plafond, avec une échelle au centre de la pièce, que la jeune fille utilisait dès qu’elle devait arroser ses seuls amis. Pour le quatrième mur, ses parents avaient fait installer une grande baie vitrée, donnant sur le parc que se partageaient les habitants de la copropriété. Le soleil se couchait doucement derrière la dune parsemée d’arbres, éclairant la pièce d’une lumière d’hiver orangée. Son lit était poussé dans un coin, recouvert de plaids et couvertures multiples. De son armoire jaillissaient des vêtements mal pliés, voire pas du tout, ainsi que des chaussures orphelines, dont Eudoxie avait perdu les jumelles dans le désordre de sa chambre. Sur son bureau étaient empilés des feuilles et des carnets, tandis que ses trois bibliothèques débordaient de livres.


La chaleur qui transpirait de cette pièce venait occulter un instant l’aseptisation qu’était Eudoxie. Lorsqu’elle posait les pieds sur le plancher de sa chambre, il lui semblait que pendant un bref moment, l’anémie et la vide étaient chassés de son être, pour laisser place à la gratitude d’être en vie. Que cette bulle prête à éclater en-dessous de sa peau, reculait de quelques centimètres. Que le rien était fugacement replacé par quelque chose. Quelque de tiède, ressemblant vaguement à l’idée qu’Eudoxie se faisait du plaisir d’exister. Quelques secondes où les yeux fermés, la jeune fille se laissait aller au fantasme d’une vie d’avant. Un quotidien avec des sentiments et sensations, où tous se bousculaient et où la chaleur humaine faisait fuir la méfiance et la peur. Mais jamais plus cette vie ne sera. Et Eudoxie le savait bien.


En face de son lit était accrochée une vieille affiche du groupe de résistance Crown-2024⸮. Encore étudiant, Anselme l’avait arraché dans la rue, un bout d’écharpe en guise de masque, avant de courir se réfugier chez Ana, là où naïvement, ils pensaient que la loi martiale et les troupes de répression ne pouvaient les atteindre. Son père avait longtemps gardé cette affiche roulée dans un coin de l’appartement, avant qu’Eudoxie ne tombe dessus.

Ses parents n’aimaient pas parler de cette époque ; chaque fois que la discussion dérivait sur cette période sombre autant à titre personnelle que pour l’humanité, le couple détournait les yeux et changeait de sujet précipitamment, faisant retomber le rideau sur les secrets d’une époque désormais révolue et qui ne sera plus. Eudoxie connaissait leur douleur, elle la voyait gravée dans leurs traits, que ce soit dans les plis frontaux de son père ou dans la moue soucieuse de sa mère. Mais sa curiosité la poussait à les presser de questions. Peut-être était-ce également pour ça qu’ils l’évitaient ; elle les obligeait à retourner au coeur d’une époque joyeusement difficile. Cependant, sa soif de connaissance sur les années 2020 ne tarissait pas : Eudoxie voulait connaître la répression et les morts qui habitaient le quotidien de cette décennie. Par-dessus tout, il lui semblait que les raisons de sa procréation et dans une moindre mesure, de son existence, se dissimulaient dans les jours noirs de cette époque. Les toucher du bout des doigts viendrait peut-être repousser le rien qui la possédait. Pourquoi avoir choisi de faire un enfant, de créer la vie et l’espoir, alors que l’humanité tombait en ruines ? Ana est d’ailleurs l’une des rares femmes à avoir accouché en 2026. Poussant hors de son corps ce si petit être, dans la douleur et le sang, Anselme fut le seul spectateur de ce miracle. Pendant des années, Eudoxie fût surnommée « le petit miracle », sobriquet qu’elle a fini par détester. Qui y-avait-il de miraculeux à offrir une vie sans sens aucun ?


La jeune fille se laissa tomber dans ses multiples couettes, offrant l’insensibilité de son épiderme aux caresses qu’elle se figurait comme suaves des tissus. La nuit, lorsque son imagination prenait le pas sur le vide de son corps, elle s’imaginait ressentir la sensation de ses draps contre sa peau. Par le bruissement qu’ils faisaient, elle se représentait la chose comme un effleurement lascif et sensuel. Sous son plafond éclairé d’étoiles phosphorescentes, l’étudiante voyait et ressentait milles choses : la chaleur du soleil, le goût des fruits sur sa langue, l’odeur d’un repas familial concocté avec tendresse, le
frôlement presque céleste de lèvres contre les siennes. Choses dont elle ignorait tout et que jamais elle ne connaîtrait.

Maudit hydroalcoolique. Maudite combinaison. Maudit masque. Maudite époque. Eudoxie haïssait toutes ces barrières, celles mêmes qui instituaient une différence entre sa vie actuelle et ce qu’elle aurait pu être. Si on lui avait laissée le choix, elle aurait préféré mourir jeune, plutôt que de vivre qu’un semblant de vie. Néanmoins, cela ne s’était pas déroulé ainsi ; quelques années après sa naissance, alors que la fillette ne connaissait rien d’autre que les 4 murs de l’appartement et le visage de ses parents, un véritable miracle (cette fois-ci) s’était produit, sauvant de fait toute l’humanité : Léon Le Gall, un scientifique français jusque-là parfaitement inconnu, avait mis au point une technique immunitaire révolutionnaire contre la Covid19. Solidifiant le gel hydroalcoolique, il avait imaginé qu’en s’immergeant quelques instants dans cette matière, cela viendrait créer une protection interne à l’épiderme humain, stoppant de fait toute contamination de la coronavirus. Cette protection se matérialisait par une combinaison, adaptable à tout type de corps humains, ne faisant qu’un avec lui.

Alors, ce fut la débandade : tous se précipitèrent chez le laboratoire l’ayant mis au point, les suppliant, mains jointes, de les laisser en profiter. Sur ordre étatique, tous profitèrent de ce merveilleux remède. Ana et Anselme furent partie des premiers à faire la queue devant les centres médicaux spécialisés afin d’en bénéficier, leur petite Eudoxie dans les bras. Ils lui narrèrent plus tard la manière dont tous les individus patientant avec eux furent joyeusement ébahis devant ce petit bout de vie ; tous lui adressèrent au moins un sourire, leur expression maussade et agressive s’adoucissant devant la candeur de l’enfance. Eudoxie fut plongée d’autorité dans ce bain visqueux ; la jeune femme n’en gardait que très peu de souvenirs, juste une impression de répulsion, ne la quittant pas malgré les bains qui suivirent.


Ses parents fêtèrent cet événement en l’emmenant pique-niquer dans l’un de leurs parcs préférés. La nature avait alors repris ses droits, recouvrant de lierres et de feuillages tous les bancs et toutes les aires de jeux. Ana avait déroulé le drap bleu, posé le panier dessus, avant de contempler le soleil brillant au-dessus de leurs têtes. Et c’est à cet instant précis que cela l’avait frappé. La chaleur du soleil ne se ressentait pas sur peau. Pas plus que la brise du vent. Elle avait adressé un regard paniqué et anxieux à Anselme, qui avait froncé les sourcils, dans l’incompréhension. Qu’est-ce qui pouvait bien inquiéter sa charmante compagne, alors que le pire était manifestement derrière eux ?

Mais Anselme se trompait. Si le pire de la crise sanitaire était passé, il ne restait que des lambeaux de l’existence humain devant eux. A cause de la couche de gel hydroalcoolique, ils n’étaient plus capables de ressentir les choses. Incapables de sentir l’eau ruisselant le long de leurs corps, le frôlement de l’herbe sur leurs pieds nus, le goût sucré d’une limonade dans leurs bouches. Le goût même de la vie s’était évaporé sous leurs yeux mêmes et pire, ils y avaient consenti bien volontiers.

A partir de ce jour, sa mère n’avait plus quitté le lit parental. Eudoxie n’avait pas beaucoup de souvenirs d’Ana sans la lassitude qui marquait à présent ses traits. La silhouette de son père s’était courbée avec le temps, comme portant un poids nouveau sur son dos. Ses pieds traînaient sur le sol, comme s’il était embourbé, dans l’impossibilité d’avancer. Ana et Anselme, qui avaient connu la vie telle qu’elle était censée se dérouler, faisaient désormais face à son inédite insipidité.

Parfois, Eudoxie se demandait ce qui était le pire : connaître la vie avant 2020 et en subir le changement aussi drastique qu’insupportable, ou bien ne pouvoir concevoir son existence qu’avec l’hydroalcoolique et le masque ? La réponse lui était encore inconnue. Peut-être ne lui apparaitrait-elle jamais. Mais pour elle, rien ne pouvait être plus pesant que son existence quotidienne solitaire et son caractère anonyme perpétuel. Car en effet, non seulement la combinaison avait affecté les sens de l’être humain, mais elle avait également modifié l’enveloppe charnelle ou plutôt, comment elle était perçue et vue par les autres. Les objets matériels, qu’ils soient meubles ou immeubles, restaient très clairs et précis au niveau de la vision. Cependant, les choses se compliquaient pour les individus. L’hydroalcoolique étant appliqué et intégré dans le corps humain, sa texture visqueuse venait rendre floue et nuageuse la personne concernée. Comme une vidéo sans la mise au point. En l’occurrence, vous aviez beau plisser les yeux, effectuer tous les réglages possibles, vous restiez flou et les autres aussi.


Ainsi, Eudoxie ne connaissait les traits de ses parents, ni les siens. Même sur pris en photo, l’appareil ne captait que le flou de l’hydroalcoolique épidermique. Mise en face d’un miroir, il lui était impossible de se voir. Elle ne distinguait que des vêtements contenant une enveloppe corporelle mouvante et vague, que jamais ses propres rétines ne pourraient capter. Aujourd’hui, tous les individus vivaient dans l’anonymat de l’autre et d’eux-mêmes. Qui est-il ? A qui appartient cette voix ? Oh, il me semble que c’est Pull bleu et rouge qui s’exprime. Ces pensées étaient triviales et communes à chacun. Lorsqu’elle
se rendait à l’université, Eudoxie ne voyait que des formes incertaines, toutes assises sur les bancs inconfortables, plus ou moins prêtes à écouter un cours magistral de 4 heures. L’anonymat, l’inconnu étaient des éléments fondamentaux de son existence. Jamais elle ne pourrait voir le visage d’un autre. Jamais elle ne pourrait se voir elle-même. Eudoxie ne s’imaginait ses traits qu’au toucher ; bien qu’elle ne ressentît pas sa peau sous ses doigts, elle percevait le contour de son visage, discernant la bosse sur son nez, l’épaisseur de celui-ci et les os de ses pommettes.


Après l’arrivée aux conséquences terribles de la combinaison, les choses n’avaient fait qu’empirer. Si les enveloppes charnelles étaient maintenant imperméables à toute contamination, ce n’était pas le cas des voies respiratoires. Rapidement, par le retour à une pseudo-normalité, le taux d’infectés était remonté en flèche. Les médecins et scientifiques ne comprenaient pas : leur technique révolutionnaire était-elle en train de les trahir ? Non, il s’agissait d’un simple oubli, pourtant basique. Si l’humanité entière était immune à la Covid19, tout autour d’elle en était souillée, de la rue qu’elle foulait, jusqu’à l’air qu’elle respirait. Et c’était précisément ce point-ci qui prêchait. Quelques années après cette affreuse déception, un chercheur allemand, Hans Schultz, avait alors créé un masque permettant de protéger continuellement les voies respiratoires de toute contamination. L’absence d’une alternative et les hôpitaux saturés eurent raison de l’Etat français : il ordonna la pose de ces masques à chacun des individus, à ses frais.


Une fois encore, Eudoxie fit la queue avec ses parents devant un centre médical, mais l’humeur n’était pas l’euphorie : chacun réalisait à son rythme ce qui lui avait été retiré par la pose de l’hydroalcoolique. Son père tenant fermement sa main, sa mère au regard absent à ses côtés, la fillette versa une larme lors de la pose. Il s’agissait d’un masque fabriqué dans une matière souple, sur lequel était apposé des milliers d’infiniment fines aiguilles, qui s’enfonçaient dans la peau du visage. Ensuite, les contours étaient découpés le long des os de la mâchoire et du haut des pommettes, suivant exactement les traits du visage. La douleur avait été telle que la petite fille avait pleuré tout le long du chemin du retour, grattant la matière sombre, son calme ne revenant que le lendemain. Eudoxie n’avait aucun souvenir de son visage sans le masque. Depuis ses 7 ans, elle ne connaissait que cette chose noire, ne faisant qu’un avec les traits de sa face, jusqu’aux petits plis et grains de beauté. Il lui semblait maintenant incongru d’imaginer les individus avant le masque. D’imaginer la barbe des garçons, les lèvres roses des filles caucasiennes. Tout ceci lui semblait si étranger, qu’elle se demandait si cela n’appartenait pas
à une autre dimension que la sienne.


Eudoxie détestait le masque. Pour l’étudiante, c’était la chose qui la déshumanisait le plus, dans le sens strict du terme. Elle avait l’impression d’être une sorte de cyborg, avec la moitié de la face humaine et l’autre faite de boulons et de vis, voire connectée à internet. Pourtant, jamais la jeune fille n’envisageait son existence autrement que celle qu’elle connaissait : bien
que le fantasme d’une vie ailleurs représentait son unique raison vitale, elle ne pouvait concevoir qu’un jour, tout serait différent. Elle enviait, imaginait sans cesse quelque chose d’autre, de mieux, mais il lui était impossible de le percevoir comme une réalité tangible. Eudoxie était bloquée, voilà tout. Bloquée dans une existence composée de solitude, d’anonymat et de vide. Ces trois choses l’accompagnaient perpétuellement, sans jamais la lâcher.

-JULIETTE !
La programmeuse informatique leva les yeux de l’écran de son ordinateur portable, sursautant au ton agressif employé par son colocataire, Jonas. Ce dernier, un sourcil levé, avait la tête passée dans l’entrebâillement de la porte de sa chambre. La jeune femme était si prise dans sa rédaction qu’elle n’avait entendu l’appel de son prénom.

-Euh, oui, fit-elle d’une petite voix. Qu’est-ce que tu veux ?
Jonas retint un soupir contrarié. Juliette n’écoutait jamais. Vous aviez beau lui répéter mille fois la même chose, si son petit cerveau avait choisi de ne pas retenir l’information, vous pouviez être certain que vous aviez parlé dans le vide.


-On finalise le drive pour les courses avec Sonia, expliqua-t-il, prenant son mal en patience, comme d’habitude lorsqu’il s’adressait à Juliette. Viens ajouter tes courses, tu me rembourseras juste après. C’est débile de faire trois paniers différents, donc 3 allers-retours.


-Sans soucis, j’arrive tout de suite, répondit-elle, replongeant presque immédiatement les yeux sur l’écran lumineux.

Jonas l’avait tirée de sa transe scriptable. Depuis le début du confinement, le 16 mars 2020, son esprit bouillonnait d’idées de fictions relatifs à cette situation inédite. Alors, elle repoussait les commandes reçues, pour se consacrer entièrement à l’écriture de textes éparses, qu’elle espérait un jour voir publiés dans un roman. Son roman. Quelle gloire et réussite ce serait, de voir son nom en haut d’une oeuvre, exposée dans les rayons de sa librairie favorite. La programmeuse informatique en soupir d’envie.


-Juliette, je te jure que si tu ne viens pas dans deux minutes, je valide ce panier et tu ne mangeras rien pendant quinze jours, s’écria la voix agacée de Sonia, son autre colocataire, depuis la cuisine de leur appartement parisien.


Repoussant son ordinateur dans ses draps, la jeune femme se leva à contrecoeur ; si l’arrivée de la Covid19 avait fait littéralement imploser son imagination, les obligations triviales finissaient toujours par reprendre le dessus. Mais au fond, bien qu’agaçante, cette trivialité la rassurait: son imagination restait dans son esprit, tandis que la réalité se matérialisait devant ses yeux. Les deux étaient bien différents et jamais ils ne pourraient fondre l’un dans l’autre pour ne faire qu’un. Jamais le quotidien que Juliette connaissait ne pourrait devenir aussi terrible, triste et vide que sa fiction. N’est-ce pas ?


Souad MESSAD